Marc Lolivier (FEVAD) : « Le e-commerce est devenu un levier structurant de l’économie française. »

Publié le 02 juin 2025

Délégué général de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), Marc Lolivier suit de près depuis plus de vingt ans les évolutions d’un secteur devenu central dans l’économie française. Juriste de formation, il a d’abord exercé en entreprise, notamment comme directeur juridique et affaires réglementaires Europe dans un groupe international d’édition, avant de rejoindre la FEVAD en 2002. Il représente également la France au sein de la Fédération européenne du e-commerce (Ecommerce Europe) et siège dans plusieurs instances publiques et privées en tant que porte-voix des acteurs du commerce en ligne. Réindustrialisation, transition écologique, montée en puissance de l’IA… Décryptage.

Le e-commerce occupe désormais une place centrale dans l’économie française. Concrètement, que représente ce secteur aujourd’hui ?

Il faut d’abord rappeler que le e-commerce, c’est un secteur qui évolue très vite. En 2024, il représente 175 milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec environ 70 milliards pour la vente de produits, le reste relevant des services : voyages, prestations à domicile, billetterie, etc. Ce sont aujourd’hui 42 millions de Français qui commandent régulièrement en ligne, pour un total de 2,6 milliards de transactions sur l’année – soit près de 80 commandes à la seconde !

C’est un secteur particulièrement structurant : on estime à plus de 200 000 les emplois directs qu’il génère, auxquels s’ajoutent 1,5 emploi indirect pour chaque emploi direct. Cela représente environ 6,5 % du PIB. Et cette dynamique bénéficie directement à d’autres secteurs, notamment celui de la logistique.

La logistique est un maillon essentiel pour le développement économique et la réindustrialisation de la France…

Oui, et le e-commerce est aujourd’hui un levier puissant pour la logistique, dans ses deux grandes composantes : le stockage et le transport. La logistique est l’un des piliers de toute stratégie industrielle. Pour réussir la réindustrialisation de la France, il faut un écosystème logistique performant — et cela passe par un e-commerce dynamique, qui stimule la demande et favorise les investissements.

C’est aussi un enjeu d’attractivité ! L’enjeu est clair : attirer les plateformes logistiques en France plutôt qu’à l’étranger. La logistique permet non seulement de capter localement la valeur ajoutée, mais aussi d’imposer des normes environnementales ambitieuses. Avoir la logistique sur le territoire, c’est aussi se donner les moyens de la verdir.

Justement, la question environnementale est aujourd’hui centrale. Comment le secteur du e-commerce s’engage-t-il en la matière ?

La responsabilité environnementale est aujourd’hui au cœur des préoccupations de nos adhérents, tout comme des clients et des collaborateurs. Nous avons actualisé en mars dernier la charte sur la logistique e-commerce responsable, signée pour la première fois en 2021. Cette mise à jour contient des engagements renforcés et des objectifs renouvelés, avec une double approche : améliorer les pratiques des entreprises et sensibiliser les consommateurs.

Sur le plan des pratiques, plusieurs leviers sont activés : réduction du vide dans les colis, utilisation de matériaux recyclés ou réutilisables, limitation des retours grâce à de meilleurs outils de visualisation – notamment via l’intelligence artificielle. On agit aussi sur les entrepôts (avec le respect des normes HQE) et sur la transition vers des flottes de livraison décarbonées et des mobilités douces.

La charte prévoit également des indicateurs pour mesurer les progrès accomplis. Car ce qui compte, ce n’est pas seulement d’aller vite, mais d’aller au bon rythme, en tenant compte des impacts économiques et des besoins d’accompagnement.

Et du côté des consommateurs ?

Ils ont un rôle fondamental à jouer. Il faut leur fournir une information claire et accessible sur l’impact environnemental de leurs choix de consommation. Cela passe par la pédagogie, l’incitation aux bons usages (comme le tri sélectif ou le réemploi des emballages), mais aussi par plus de transparence sur l’origine et la composition des produits.

Les études que nous menons montrent que les consommateurs sont de plus en plus sensibles à ces sujets. Et ils sont nombreux à considérer que le e-commerce, en leur donnant accès à plus d’informations, peut les aider à consommer de manière plus responsable.

On reproche parfois au e-commerce de fragiliser le commerce physique…

Il ne faut pas opposer commerce physique et commerce en ligne. Le e-commerce n’est que la traduction, dans le secteur du commerce, de la révolution numérique que connaissent tous les secteurs économiques. Aujourd’hui, les frontières ont disparu : la moitié de nos adhérents sont des commerçants physiques, qui ont totalement intégré le digital dans leur stratégie.

Toutes les grandes enseignes sont présentes en ligne, sans pour autant renoncer à leurs magasins. Le digital prolonge le magasin, il ne s’y substitue pas. C’est aussi vrai pour les commerces de proximité : de plus en plus d’artisans utilisent le e-commerce pour étendre leur zone de chalandise, parfois même à l’international. Et les consommateurs sont demandeurs : 80 % d’entre eux souhaitent que leur commerce de proximité dispose d’un site Internet.

Il existe aussi des synergies vertueuses : les points-retraits, par exemple, permettent d’attirer la clientèle en magasin. Un tiers des retraits en magasin donne lieu à un achat complémentaire.

Les petites entreprises sont encore nombreuses à ne pas sauter le pas. Quels conseils leur donneriez-vous ?

Le e-commerce est à la fois très accessible et très riche. Il existe de nombreuses façons de s’y lancer : site Internet, marketplace, réseaux sociaux… Ce qui compte, c’est de bien choisir les outils en fonction de ses objectifs, de son budget et de ses compétences. Il faut penser à long terme, envisager l’évolution future de son activité, sans viser tout de suite un site à fort trafic.

C’est aussi un outil évolutif. Il faut commencer petit, mais structuré, et surtout ne pas hésiter à se faire accompagner. Ne pas y aller, c’est prendre le risque d’être invisible : aujourd’hui, plus d’un achat sur deux commence par une recherche en ligne. Il ne faut pas avoir peur du numérique, à condition de ne pas se lancer n’importe comment.

Vous avez mentionné le rôle de l’intelligence artificielle… En quoi cela est-il un enjeu pour le e-commerce ?

Parce que l’IA est une révolution majeure ! Aujourd’hui, plus de 82 % de nos adhérents utilisent l’IA générative. Le e-commerce est un des secteurs les plus avancés dans ce domaine, et c’est logique : c’est un secteur nourri par la data. Cela permet d’optimiser les process et de générer du chiffre d’affaires additionnel. Cela touche tous les domaines :  la relation client, le marketing, les paiements, la logistique…

L’IA est même utilisée pour optimiser les tournées de livraison ou ajuster les stocks. C’est un levier de compétitivité et d’efficacité. Et on voit émerger de plus en plus de solutions qui vont permettre aux PME, elles aussi, d’intégrer ces technologies. C’est un sujet incontournable, et il faut s’y préparer.